La réduction des taux de politique monétaire initiée à partir de l’été 2024 s’est poursuivie de façon hétérogène, les banques centrales continuant de surveiller attentivement l’évolution de l’inflation. Dans la zone euro, l’inflation est retombée temporairement sous la cible de 2 % en septembre, avant de remonter légèrement en lien avec les fluctuations de l’indice des prix de l’énergie (encadré 9.1). La BCE est restée prudente sur le rythme de son assouplissement monétaire. Sur les neuf derniers mois, le taux des facilités de dépôts a baissé de 1,5 point, pour s’établir à 2,5 % en mars 2025. Les baisses de taux ont été plus modérées au Royaume-Uni du fait d’un rebond de l’inflation à 3 % en début d’année. Aux États-Unis, la désinflation a très nettement marqué le pas en 2024 si bien que la Réserve fédérale a décidé d’une pause depuis décembre. Enfin, le Japon continue de faire face à une situation différente, avec une inflation qui se maintient depuis maintenant près de 3 ans au-dessus de 2 % après une longue période déflationniste. La Banque du Japon a poursuivi la normalisation très progressive de sa politique monétaire, avec une hausse du taux directeur d’un quart de point décidée lors de la réunion de janvier 2025.
Avec la hausse annoncée des droits de douane, les banques centrales pourraient, comme en 2022 suite à la flambée des prix de l’énergie, devoir arbitrer entre l’objectif de stabilité des prix et celui de la croissance. Néanmoins, l’impact inflationniste de la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis se reflèterait surtout dans la dynamique des prix outre-Atlantique avec une inflation moyenne en hausse : 2,8 et 2,9 % en 2025 et 2026 contre 2,5 % en 2024. Bien que supérieure à la cible de la Réserve fédérale, l’inflation serait plus modérée que celle observée entre 2021 et 2023. Parallèlement, la croissance marquerait un peu le pas et le taux de chômage passerait de 4,2 % fin 2024 à 4,7 % fin 2026. Dans ces conditions, la Réserve fédérale mettrait un terme à son cycle de baisse des taux au moins jusqu’à la fin du mandat de Jerome Powell, en mai 2026. L’orientation de la politique monétaire américaine, et probablement l’indépendance de facto de la Réserve fédérale, dépendra ensuite du successeur que désignera Donald Trump. Dans la zone euro, l’inflation moyenne se stabiliserait autour de la cible de la BCE qui poursuivra la baisse des taux pour soutenir l’activité. Nous prévoyons deux baisses supplémentaires puis un statu quo en 2026. Outre-Manche, la BoE suivrait un rythme de baisse similaire à celui mis en œuvre dans la zone euro. Au Japon, la BoJ augmenterait de nouveau son taux directeur à deux reprises : une fois en 2025 et une autre en 2026, où il atteindrait 1 %.
Étant donné les délais de transmission de la politique monétaire, le changement d’orientation opéré par les banques centrales permettrait de soutenir la croissance en 2025 et plus encore en 2026. Même sous l’hypothèse de stabilité des taux – comme nous l’anticipons pour les États-Unis – l’arrêt du cycle de hausses se traduira par un soutien à la croissance1.
1 L’évaluation des effets de la politique monétaire pour les Etats-Unis est calée sur les résultats de la variante du modèle FRB-US qui suggère qu’une hausse de taux se traduit par un effet négatif sur l’écart de croissance qui atteint un pic les deuxième et troisième année qui s’estompe ensuite les deux années suivantes. Implicitement, un choc transitoire de politique monétaire n’a pas d’effet permanent sur l’activité. Par conséquent, la croissance est réduite les trois premières années mais augmentée ensuite.
2 Entre octobre 2023 et février 2025, le taux long dans la zone euro et aux États-Unis a baissé de 0,3 et 0,4 point respectivement alors qu’ils avaient augmenté de 3,3 et 3,2 points entre août 2021 et octobre 2023.
Au-delà des décisions des banques centrales, l’efficacité de la politique monétaire dépend en grande partie de la transmission des variations de taux courts aux taux de plus long terme, publics et privés. Or, la baisse des taux longs observée depuis la fin de l’année 2023 est de moindre ampleur que la hausse observée à partir de 2021 et qui avait précédé le resserrement des politiques monétaires2. La période récente se caractérise même par une remontée des taux souverains, de l’ordre de 0,3 point dans les principaux pays de la zone euro au cours du mois de mars. Aux États-Unis, la hausse – de plus de 1 point – fut observée pendant la campagne présidentielle puis après la victoire de Donald Trump.
Comment expliquer cette remontée des taux souverains ? Premièrement, les taux longs ont peu baissé parce que la réduction des taux directeurs des banques centrales a été modérée et que les marchés anticipent sans doute la fin de ce cycle de baisses. Pour la BCE, la baisse réalisée et prévue d’ici la fin de l’année 2025 serait de 2 points après une hausse de 4,5 points entre juillet 2022 et septembre 2023. Aux États-Unis, la cible de la Réserve fédérale est passée de 0,25 % à 5,5 % entre mars 2022 et juillet 2023, alors que la baisse de cette même cible se limiterait à 1 point. Deuxièmement, parallèlement aux décisions sur les taux d’intérêt, les banques centrales ont aussi réduit la taille de leur bilan (graphique 10.1) ce qui correspond à une forme de restriction quantitative active – comme dans le cas de la BoE qui revend une partie des titres qu’elle détenait – passive dans le cas de la BCE ou de la Réserve fédérale qui ne vendent pas d’actifs mais ne renouvellent qu’une partie des titres arrivant à échéance (Du, Forbes et Luzzetti, 2024). Ces évolutions du portefeuille d’actifs des banques centrales influencent donc les marchés de dette souveraine et peuvent se traduire par des taux longs relativement plus élevés3. (Choi et al., 2022) ont proposé de quantifier l’impact de ces politiques de bilan sur l’orientation de la politique monétaire américaine en calculant un taux proxy. Il en résulte un durcissement implicite de la politique monétaire plus important puisque le taux proxy est en moyenne plus élevé que le taux cible de la Réserve fédérale depuis fin 2021. Pour la zone euro, l’application de la même méthode conduit à une estimation plus faible du taux proxy4 et sur la période récente, la baisse est légèrement moins importante que celle du taux €STR (le taux au jour le jour). Enfin, les annonces sur l’orientation de la politique budgétaire pourraient également se refléter dans les taux longs. De fait, la victoire de Trump aux élections présidentielles américaines laissaient présager d’un fort creusement des déficits en raison des promesses de baisses d’impôts5. Ces mesures, conjuguées à l’anticipation des droits de douane plus élevés ont également augmenté les anticipations d’inflation ce qui se reflète donc dans les taux nominaux6. Plus récemment, ce sont les annonces européennes et en particulier allemandes pour accroître les budgets de la défense qui pourraient indiquer une orientation moins restrictive ou même expansionniste de la politique budgétaire ce qui pourrait se répercuter sur les taux via l’impact de ces mesures sur les anticipations de croissance et d’inflation. Il pourrait alors en résulter des taux longs qui se stabilisent à leur niveau actuel ce qui pourrait atténuer légèrement l’impact expansionniste de la politique monétaire.
3 Il y a de fait un parallèle avec les politiques d’assouplissement quantitatifs qui ont permis aux banques centrales de faire pression à la baisse sur les taux longs entre 2009 et 2021.
5 Le projet d’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques fédérales pourrait cependant atténuer cette orientation expansionniste de la politique budgétaire (voir USA).